- Dans la rue, nous constatons une tendance à la montée de l’extrémisme dans l’ensemble du spectre politique
- Macron cristallise la colère de tous les manifestants et leur langage devient de plus en plus violent
- Les journalistes, la police et les manifestants courent un risque accru lors des manifestations
En 2018, le prix de l’essence a été l’étincelle qui a allumé le feu des gilets jaunes, connus en France sous le nom de « gilets jaunes » .
En 2019, lorsque les gens sont à nouveau descendus dans la rue, c’était contre la réforme des retraites.
Beaucoup en France supposent que les deux questions sont distinctes, mais l’expérience de couverture de ces manifestations, semaine après semaine, suggère que ces déclencheurs ne sont pas le véritable problème. En fait, ils nous détournent de la compréhension de la situation globale.
Les médias jouent un rôle dans la perpétuation d’une vision incomplète
Je suis troublé par la façon dont nous avons tendance à concentrer nos reportages sur les conséquences des protestations et non sur leurs causes sous-jacentes.
J’ai assisté au retrait progressif du pays de la France rurale :
- les maternités
- les tribunaux d’instance
- les casernes
- les bureaux de poste
- les magasins ont disparu du centre des petites villes
Les personnes touchées par ce retrait ont réalisé, grâce à internet, qu’elles étaient en marge de la société.
Ce que les gilets jaunes leur ont apporté, c’est une visibilité dans les médias et un rapprochement entre eux.
Des gens qui avaient cessé de se parler au fur et à mesure que les centres-villes se vidaient au profit de centres commerciaux se sont retrouvés sur les ronds-points où ils se rassemblaient pour protester.
Ils partagent leurs luttes et se débarrassent de la honte d’avoir l’impression d’avoir « échoué » à rester dans les classes moyennes.
Le mouvement des gilets jaunes en chiffres
Macron a cristallisé la colère de tous les manifestants et leur langage se fait de plus en plus violent :
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« On va pendre le banquier ! »
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« Macron, on vient te chercher chez toi ! » .
Il semblerait que les Français veulent un roi pour pouvoir lui couper la tête.
Si les manifestations de 2019/2020 contre la réforme des retraites (menées par les syndicats) semblent plus organisées et moins explosives, les sentiments sont les mêmes.
Rien, en fait, n’a changé, à l’exception des visuels. Les gilets jaunes ont disparu des rues, mais les mêmes personnes se réunissent, planifient des actions futures et apprennent à utiliser l’application de messagerie chiffrée Telegram.
Les extrêmes vont converger, la violence ne disparaît pas
Mai 2022, élections présidentielles : l’extrême-droite et l’extrême-gauche ont rivalisé, en vain, pour prendre le leadership du mouvement. Pourtant, leurs mouvements sont montés en puissance au cours des derniers mois.
Ce que nous voyons dans la rue (et qui n’est pas relayé par les grands médias) c’est cette tendance inquiétante à la montée de l’extrémisme sur l’ensemble du spectre politique.
- Alors que l’extrême droite a multiplié les « opérations anti-migrants »
- l’extrême gauche fait de plus en plus souvent la une des cortèges de protestation avec « Marx ou la grève »
Leurs ennemis déclarés sont les banques, la police et le pays. Les Verts extrémistes prévoient également davantage d’actions, parfois violentes.
Réaction du public aux manifestations des gilets jaunes
Fin 2019, le coordinateur national du renseignement Pierre Bousquet de Florian a prévenu :
« Nous sommes confrontés à un « ensauvagement » sans précédent de notre société avec un degré de violence et une montée rapide de la haine. »
En tant que journalistes, nous avons besoin d’agents de sécurité pour couvrir les grandes manifestations de routine. Les forces de l’ordre sont soumises à une contrainte extrême, tant physique que mentale, et la demande de services de sécurité privés n’a jamais été aussi forte.
Combien de temps encore le pays sera-t-il en mesure de protéger ses citoyens ?
Le cycle de la violence n’est pas à son apogée ; ce pourrait n’être que le début.
Notre police « à la française » , qui date de 1968, est en pleine révolution. Depuis 50 ans, la doctrine est la suivante :
- « on tient les manifestants à distance »
- pas de contact et pas de combat au corps à corps
Mais ces dernières années, les nouvelles techniques utilisées par les manifestants et l’actualité ont bouleversé ce modèle :
- Paris, janvier 2015 : La France est frappée par le terrorisme, et les policiers sont salués comme des héros.
- Paris, Nantes, Toulouse 2016 : Manifestations contre les réformes du droit du travail. Pour la première fois, les journalistes reçoivent des casques. Les manifestants les plus radicaux d’extrême gauche sont en queue de cortège. Des violences éclatent à la fin et la police ne parvient pas à les tenir à distance. Les arrestations se multiplient.
- Paris, 1er mai 2018 : Pour la première fois, un black bloc se forme en tête de cortège et perturbe la manifestation. Les organisateurs syndicaux sont débordés et des affrontements très violents s’ensuivent.
- Paris, fin novembre 2018 : Premières manifestations de gilets jaunes. Les forces de l’ordre ne parviennent pas à maintenir la distance. Les éléments les plus radicaux sont les plus mobiles et les policiers sont bloqués en formation statique dans les rues adjacentes aux Champs-Élysées. L’avenue est dévastée.
- Paris, 8 décembre 2018 : La doctrine des forces de l’ordre pivote. Après la « prise » de l’Arc de Triomphe par les gilets jaunes, la police passe à l’offensive. Rien qu’à Paris, on dénombre plus de 1000 « interpellations » et 126 blessés.
- Les Black Blocs sont numériquement minoritaires dans les grandes manifestations mais ils sont à l’origine de tous les changements de tactiques de la police et de son malaise croissant.
Principalement associés à l’anarchisme, à l’antimondialisation et à l’antifascisme, les Black Blocs constituent un regroupement éphémère d’éléments radicaux vêtus de noir avec des masques de ski ou des écharpes pour cacher leur visage.
Lors des grandes manifestations, ils reçoivent le soutien de l’étranger, principalement de l’Allemagne et du Royaume-Uni.
Les policiers
Les policiers sont appelés à travailler les jours de congé et les taux de divorce sont en hausse. Anecdotiquement, un policier a parlé en off de l’expression « divorces de gilets jaunes » .
Un autre a dit qu’il avait une double vie : un samedi, il rejoignait ses collègues pour protéger les Champs-Élysées ; le lendemain, il était masqué et se trouvait parmi les manifestants.
La tendance à l’escalade de la violence est présente dans les deux camps. Demain, un manifestant, un policier ou un journaliste pourrait mourir dans une manifestation en France. Nous sommes en terrain inconnu.
Les journalistes
Je crois que les journalistes peuvent jouer un rôle dans la régénération du tissu social qui continue à alimenter ce clivage « nous contre eux » .
La proximité compte : plus un événement est éloigné de nous, moins il attire l’attention. Ce qui compte pour les gens, c’est ce qui se passe dans un rayon de 10 à 15 km. Pour cela, il faut un journalisme local qui mobilise la jeune génération.
Les médias peuvent faciliter une discussion sur la nécessité d’un nouveau contrat social, qui ne soit pas centré sur la consommation de masse, mais sur nos valeurs en tant que société.
Il convient de s’attaquer au fossé intergénérationnel
- La génération de l’après-guerre est toujours bloquée dans l’esprit d’extraction des « 30 glorieuses » du plein emploi et de la consommation de masse.
- La génération de Greta Thunberg est radicalement différente, ancrée dans une conscience de la vulnérabilité et de la rareté de l’environnement.